
Affaire des 125 milliards FCFA : Pourquoi les employés du Trésor public ne sont pas inquiétés ?

C’est une affaire qui secoue les plus hautes sphères de l’État et fait vaciller les fondations de la gouvernance financière au Sénégal. SeneNews a obtenu des informations exclusives sur le scandale des 125 milliards FCFA en cours d’investigation par le Pool judiciaire financier (PJF). Alors que les projecteurs sont braqués sur des figures médiatisées comme Amadou Sall, fils de l’ancien président Macky Sall, ou encore le chanteur Wally Seck, une question cruciale reste jusqu’ici éludée : comment une telle somme a-t-elle pu sortir des caisses du Trésor public sans résistance apparente ? Le silence autour de certains agents de l’État interroge.
À l’origine de ce scandale, un rapport confidentiel de la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF), transmis à la justice, révélait des mouvements financiers suspects pour un montant dépassant les 125 milliards FCFA. Rapidement, le Pool judiciaire financier s’est saisi du dossier, procédant à plusieurs interpellations. Parmi les mis en cause : l’homme d’affaires Tahirou Sarr, le député Farba Ngom, le chanteur Wally Seck, et Amadou Sall.
D’après les éléments recueillis, une partie des fonds incriminés proviendrait directement du Trésor public, avant d’être ventilée à travers des circuits complexes vers des sociétés privées et des comptes personnels. Ces transferts soulèvent une interrogation majeure : les décaissements ont-ils été réalisés avec la complicité d’agents internes ?
Trésor public : des procédures rigides mais contournées
En principe, les paiements effectués par le Trésor public sont soumis à une procédure stricte. Attribution de marché, exécution prouvée, factures validées, autorisations hiérarchiques : chaque centime engagé doit théoriquement être justifié. Or, des cas récents montrent que cette rigueur peut être contournée. Le précédent de Tabaski Ngom, inspectrice du Trésor et agent-comptable d’Aprisi, est édifiant. Mise en détention provisoire depuis janvier pour un détournement présumé de 700 millions FCFA, elle aurait monté des dossiers de marchés fictifs pour obtenir des paiements. Ce précédent illustre bien que le système peut être manipulé de l’intérieur.
Si les bénéficiaires finaux des virements sont visés par les juges d’instruction, les agents publics ayant autorisé ou facilité les décaissements restent, pour l’instant, hors du champ des poursuites. Pourtant, le code pénal sénégalais est clair : tout fonctionnaire ayant sciemment facilité une opération frauduleuse peut être tenu pénalement responsable. Ce déséquilibre dans le traitement judiciaire suscite des interrogations. Pourquoi les contrôleurs, inspecteurs ou agents comptables du Trésor, pourtant au cœur du processus, n’ont-ils pas encore été entendus ? Existe-t-il une volonté de protéger une caste administrative jugée « intouchable » ?
L’enquête s’élargit, les ramifications se multiplient
Selon des sources proches du dossier, les enquêteurs du PJF ont entamé une seconde phase d’investigations, cette fois orientée vers les mécanismes internes ayant permis le transfert des fonds publics. Des audits de procédure sont en cours au sein de certaines directions du ministère des Finances, notamment la Direction générale de la Comptabilité publique et du Trésor (DGCPT).
Des noms commencent à circuler en coulisses. Il s’agirait d’agents en poste entre 2022 et 2023, période durant laquelle plusieurs ordres de paiement litigieux ont été exécutés. Certains de ces agents auraient même été promus récemment, ce qui accentue le malaise au sein de l’administration.
Alors que le Sénégal entame une nouvelle ère sous la présidence de Bassirou Diomaye Faye, ce dossier constitue un test de transparence et d’équité pour le nouveau régime. Dans une opinion publique de plus en plus sensible aux questions de justice et de reddition des comptes, toute perception d’impunité pourrait gravement entamer la crédibilité des institutions.
Le président a promis une rupture. L’enquête sur les 125 milliards pourrait en être le baromètre. Si le droit est dit dans toute sa rigueur, sans égard pour les noms, les titres ou les fonctions, ce scandale pourrait devenir un tournant historique dans la lutte contre la corruption au Sénégal.